Tim Miller
Twentieth Century Fox/Netflix/Yoram Kahana/Shooting Star/SPUS/ABACAPRESS.COM

Croisé au Festival international du film d’animation d’Annecy, le réalisateur Deadpool et co-créateur de la série Love, Death and Robots revient sur une partie de sa carrière et les pépins rencontrés avec Ryan Reynolds, James Cameron et les studios hollywoodiens.

PREMIÈRE : En voyant votre nom sur le programme, je me suis demandé ce que vous faisiez à Annecy puisque vous n’avez rien de spécial à vendre en ce moment. Vous cherchez à recruter pour Love, Death and Robots et Secret Level ?
TIM MILLER : En partie, oui. On a besoin de monde, surtout de réalisateurs. Et comme le concept est de faire fabriquer les épisodes par plein de sociétés différentes, beaucoup de gens veulent bosser avec nous. C’est assez bizarre pour moi d'être dans cette position, mais c'est cool. Je suis content de donner aux gens du boulot dans un domaine qui me passionne.

Même si vous faisiez déjà énormément de choses dans l’animation, les jeux vidéo et les effets spéciaux numériques, mais Love, Death and Robots est le projet qui a mis votre société, Blur Studio, sur la carte. Vous pouvez nous raconter sa création et votre rencontre avec David Fincher ?
Je connaissais David depuis longtemps. Il était venu au studio en 2004 je crois, pour voir ce qu’on pouvait lui proposer en matière de cinématiques pour un jeu vidéo. David voulait faire un jeu qui raconterait ce qui se passerait lors d'un tremblement de terre de magnitude 12. On n'a finalement jamais fait de cinématique ni de démo, mais il aimait bien notre façon de travailler et de gérer le studio - on laisse les artistes pleinement s’exprimer. Alors il nous a proposé de nous aider sur des projets, et l’un d'entre eux était une nouvelle version de Métal Hurlant [qui n’a finalement jamais vu le jour mais a en quelque sorte donné naissance au concept de la série d’animation Love, Death and Robots].

Je pense que c'est le côté expérimental qui lui parlait, et d’ailleurs c’est la même chose pour Love, Death and Robots. Cette saison, on s’est fait critiquer pour son épisode Can't Stop avec les Red Hot Chili Peppers. Le but, c'est d’expérimenter, mais beaucoup de gens prennent tout au pied de la lettre, comme si chaque épisode devait forcément parler d'amour, de mort ou de robots. Alors que c'est juste un bac à sable dans lequel on peut mettre n'importe quoi. On a aussi le droit d’être purement dans le visuel et la beauté de l’animation.



J’avoue ne pas avoir vraiment compris les critiques très virulentes autour de cette quatrième saison.
Je ne comprends pas non plus. Les fans sont capricieux.

L’attente de trois ans depuis la dernière est peut-être un début d’explication, non ?
Oui, c’était sûrement trop long. Mais je déteste quand les gens inventent des raisons pour ce décalage, comme s'il y avait quelque chose de malveillant derrière. On faisait un travail de très haut niveau et l'industrie était dans une situation étrange. Et puis on ne pouvait pas lancer la saison à certains moments, parce que d'autres séries sortaient sur Netflix. C’était une équation vraiment compliquée à résoudre, et j'aimerais que les gens ne se contentent pas de dire : « Oh, les paresseux », ou « Ils doivent dépenser tout leur argent en pizzas »… Quel argent ? On a un meilleur budget que beaucoup de séries animées, ce qui nous permet de repousser les limites, mais ça ne suffit jamais.

Love, Death and Robots n'est pas une activité lucrative pour nous. Je ne m'attends pas à plaire à tout le monde, mais j'aimerais juste qu’on nous fasse un peu confiance sur nos intentions. Je devrais arrêter d’aller lire les commentaires sur Reddit autour de la série, mais je ne peux pas m’en empêcher (Rires.) Bref. En tout cas, ce n’est pas grave de ne pas aimer tous les épisodes ou saisons de Love, Death and Robots de façon égale. J’adore David Fincher mais je ne m’attends pas à apprécier équitablement chacun de ses films. On s’en fout de savoir lequel est son préféré ou lequel j'aime le moins.

Pour être honnête, ça m’intéresserait de savoir quel film Fincher considère être son meilleur !
(Rires.) J’imagine qu'ils ont tous une signification différente pour lui. Par contre je sais lequel il déteste ! Alien 3, bien entendu.

Il en parle encore dans le privé ?
Oh oui, il en plaisante régulièrement. On donne beaucoup de soi dans un film, mais ça peut être une expérience traumatisante quand ça se passe mal. Je ne suis pas très thérapie, mais j'aurais probablement dû en faire une après Terminator : Dark Fate. Tu bosses comme un chien, 14 heures par jour, sept jours sur sept, pendant deux ou trois ans… Et puis à la sortie les gens sont mécontents du résultat ou bien le film fait un flop. C’est raide.

J’ai plein de réserves sur Dark Fate, mais j’en profite quand même pour vous dire que la première scène, celle où John se fait assassiner par le T-800, est peut-être la meilleure de la saga depuis Terminator 2.
Merci, mais les fans étaient vent debout !

Pourtant tout était là : le grain de l’image, la violence, la surprise évidemment et le rajeunissement numérique des acteurs assez incroyable.
Marrant que vous me disiez ça, car ce n’était pas du rajeunissement numérique au sens où vous l’entendez, juste des effets spéciaux numériques. On avait des doublures et on a remplacé leurs visages. À l'époque, c’était très difficile à faire. C'était censé être une scène avec des dialogues, mais on n'arrivait pas à faire correspondre le mouvement des lèvres… On a bien tenté de faire de la capture de mouvement faciale, sauf que ça n'a jamais marché. Mais j’aime bien le rendu qu’on a réussi à avoir. 



Sur Terminator : Dark Fate, on a fait des projections test, comme c’est le cas pour tous les gros films. J’adore ça parce qu’on a toujours tendance à ne plus être objectif sur son propre travail au bout d’un moment. Le processus est intéressant : les gens qui s’occupent de ces protections font remplir des questionnaires à environ 300 personnes dans la salle. Et après avoir décortiqué les réponses, ils en gardent une vingtaine pour les interroger. Tous les cadres du studio et moi-même étions assis deux rangs derrière eux. Et ils ne se sont jamais retournés (Rires.)

Mais ils savaient que vous étiez là ?
J’imagine que oui, mais qu’ils s’en fichaient ! C’était très bizarre. Et donc un type leur posait des questions, dans le désordre, histoire de constamment les surprendre et qu’ils donnent vraiment leur avis sur telle scène ou tel personnages. La méthode fonctionne, mais j’ai demandé à l’animateur de la session ce que je devais en tirer. Il m’a répondu : « Si une ou deux personnes disent la même chose, tu n’as pas à en tenir compte. Par contre, cherche les tendances qui se dégagent. » Donc si plusieurs personnes trouvent le deuxième acte trop lent, tu sais qu’il y a un problème. En l’occurrence, ce qui ressortait était que Natalia Reyes, qui jouait l’équivalent de John Connor, pleurait trop. Le public trouvait qu’elle avait l’air faible. J’étais scié : je pleure tout le temps, et je ne pense pas que montrer ses émotions soit un signe de faiblesse, au contraire.

Mais j’imagine que les spectateurs américains ne sont pas d’accord avec moi… J’étais dans une impasse : Natalia m'avait offert des performances fantastiques, des trucs vraiment émouvants. Mais le public devait absolument l’aimer pour que le film fonctionne, et s’il la trouvait trop fragile, c’était foutu… Alors on a décidé d’utiliser des prises d’elle qui étaient moins dans l’émotion, et qu’on avait sciemment mises de côté. Natalia savait qu'elle avait assuré, mais j’ai dû aller lui dire que même si son jeu était meilleur dans le montage initial, j’allais devoir utiliser d’autres séquences. Un crève-coeur.

Le film était meilleur après les remarques du public ?
Non. Et en même temps, je sais que je ne fais pas le film uniquement pour moi. Il n’est pas qu’à moi. Un jour je suis à un Comic-Con à Mexico et je croise Fede Álvarez. Il se trouve que Natalia est là aussi. On a commencé à parler de tout ça, et elle me dit : « Tim, espèce d’enfoiré. » (Rires.)  Álvarez ne comprenais pas pourquoi j’avais changé ses scènes. Pour lui, il ne faut jamais accepter de se faire dicter son film. Mais qu’est-ce que j’étais censé faire ? Laisser Natalia jouer un personnage que le public n’aimait pas ? C’est elle qui en aurait pâti plus que moi et ça me semblait égoïste. C'est difficile, mais au bout du compte, je dois choisir le film plutôt que mes goûts personnels.

Et est-ce que vous aviez vraiment le choix ? On imagine que le studio vous tord le bras pour changer ce que le public test n’a pas aimé.
Ça dépend. Une fois que le public a dit qu’il n’aimait pas tel personnage ou telle scène, qu’est-ce que ça donne quand on fait le changement ? Le studio ne ne le sait pas toujours. Parfois, ils te disent exactement quoi faire, et d’autres fois c’est beaucoup plus flou. C’est à toi de décider en tant que réalisateur. Et il arrive que certains « problèmes » soient impossibles à régler parce qu’ils sont ancrés dans l’ADN du film. C’est pour ça que j’essaie de m’assurer que nous sommes tous sur la même longueur d’ondes dès la phase de développement. Après, il faut savoir s’ajuster. 

Pour Dark Fate, j’avais émis l’hypothèse que dans le futur, les humains étaient en train de perdre face à Skynet, et que renvoyer quelqu’un dans le passé était leur ultime chance de survie. Soit l’opposé de tous les autres films où c’est Skynet qui est désespéré. James Cameron m’a répondu : « Mais qu’est-ce qu’il y a de si dramatique à ce que l’humanité perde ? » Ben, euh… Ça me semble évident ! (Rires.) Mais j’ai tout de suite compris que je n’allais pas remporter cette bataille parce qu’il ne voulait pas du tout aller dans cette voie, et que ce n’était pas la façon dont il avait construit l’histoire de la saga Terminator. Pas grave : c’est le type qui a inventé la franchise ! Par contre le studio ne voulait pas que les personnages parlent espagnol entre eux dans les scènes censées se dérouler au Mexique. Ça me semblait beaucoup trop bizarre qu’ils se causent en anglais, alors j’ai laissé les dialogues en espagnol. Je savais que j’allais les convaincre. Et puis on tournait en Espagne, je n’avais personne sur le dos, alors j’ai tenté ma chance (Rires.)

Masterclass James Cameron
Anthéa Claux

Pour rester sur James Cameron, on sait que vos relations ont été tendues à un moment. Est-ce que ça a beaucoup chauffé et à quel point est-il impliqué dans le tournage d’un film Terminator ?
Son implication est variable selon l’avancée du film : il était très présent durant la préproduction et l’écriture. Il a d’ailleurs écrit quelques scènes. Mais il n’est jamais venu sur le plateau et ne m’a jamais donné de retours sur ce que je filmais. Effectivement, ce n’est pas un secret que nous n'étions pas toujours d'accord sur tout, mais on en a beaucoup parlé depuis, et il est fier du film. C’est également mon cas, et pour le reste, il s’agit juste deux personnes qui essaient de faire le meilleur long-métrage possible et qui ont des divergences créatives.

Lui et moi, on lit les mêmes livres, on aime les mêmes auteurs, et on parle tout le temps de science-fiction et de trucs de nerds. On s'entend super bien sur plein de choses. En vérité, je pense que Terminator et Terminator 2 sont des films presque parfaits. Et dans l’esprit de Jim, l’histoire de Terminator est résolue de façon incroyablement cohérente et mémorable. Donc une fois que tu as accompli ça, c’est difficile de s’entendre dire : « Et si les humains avaient perdu ? » Je respecte son point de vue. 

Revenons en arrière : en 2016, vous réalisez Deadpool, qui est votre premier long-métrage. Le succès est immense. Vous êtes dans quel état d’esprit à ce moment-là ?
Je ne vais rien révéler en vous disant que Ryan Reynolds et moi avons eu quelques désaccords à la toute fin du film. Mais le tout début s’est déroulé comme dans un rêve. Le budget était de 60 millions de dollars, ce qui peut évidemment sembler énorme mais ce n’est rien si on le compare à d’autres films de super-héros. Et même si c’était mon premier film, la Fox n’a que très peu mis son nez dans mes affaires. À un tiers du tournage, je reçois un coup de fil d’une cadre du studio, à qui je demande ce que je pourrais améliorer ou faire différemment.

C’est mon premier film, je n’y connais rien ! « Écoute Tim, les rushes sont nickels. Tu respectes le planning et le budget. Tout le monde est content. Je ne reçois aucun appel, il n’y aucun problème. Continue comme ça. » (Rires.) Sauf qu’après le Comic-Con de San Diego, tout le monde a compris qu'on avait entre les mains quelque chose de plus balèze qu’un petit film de super-héros. Et, tout à coup, les enjeux ont gonflé. Je pense que ça a un effet sur moi, sur le studio - qui s’est mis à me traiter différemment - et sur Ryan.

Il avait compris qu’il jouait là tout le reste de sa carrière ?
Je crois, oui. Il avait été traumatisé par Green Lantern, tout comme David Fincher l’avait été sur Alien 3. Bref, la pression devenait très compliquée à gérer. Je ne pensais pas faire la suite, parce que je supposais que mes problèmes avec Ryan étaient insolubles. Je ne d’ailleurs jamais pensé que c’était ma franchise, j’ai tout de suite dit : « C'est Ryan le visage de Deadpool. Je comprends comment fonctionne cette dynamique de pouvoir. Qui est le plus facile à remplacer dans cette équation ? C'est moi. Alors, bonne chance. » Et la productrice Emma Watts m’a répondu que je devais revenir. Elle a fait beaucoup pour arranger les choses. Donc j’ai développé le personnage et on a écrit un tout nouveau scénario. J'ai fait des tonnes de prévisualisations, j'étais super excité… et tout s'est effondré à nouveau, parce que la tension était trop forte.

Mais contrairement à ce qui a été écrit par la presse, le problème n’était pas que je voulais faire le film avec un budget pharaonique. Ma philosophie, c’est que plus on a d’argent, plus c'est difficile. Je n’ai aucune prétention, je ne pense pas être un meilleur cinéaste parce que je dépense plus d’argent. Et puis si je crois être un bon collaborateur, je sais que je ne suis pas un bon négociateur. Je suis prêt à discuter de tout, mais à un moment donné, je vais faire ce que je pense être le mieux pour le film. Et si ma vision ne s’accorde pas avec celle des autres, alors en revient à qui a le pouvoir sur le film. Et si ce n’est pas moi, autant que je me retire.



Donc vous décidez de partir.
J'ai juste dit : « Bon, c'est peut-être mieux si je tourne les talons. » Je ne veux pas me battre. Je ne perds jamais mon sang-froid. Je ne crie jamais. Je ne me mets jamais en colère. Enfin, parfois, envers les huiles, mais jamais envers mes subordonnés. Je ne me voyais pas négocier tout le temps.

Donc le problème ne venait pas uniquement de Ryan Reynolds, comme on a pu le lire.
C'était plus que ça. Je vais vous donner un exemple : lors du test maquillage pour le premier film, des gens du studio étaient choqués par l’apparence de Deadpool quand il ne porte pas le masque - ils le trouvaient trop moche. « On pensait que ça allait être juste une cicatrice, comme le sergent Barnes dans Platoon. » Et moi je leur répondais : « Mais c’est comme ça qu’il est dans les comics ! Sa laideur est essentielle, elle le pousse dans une spirale de honte, c’est ce qui alimente toute l’histoire. »

S’il avait juste une petite cicatrice, les gens se seraient demandé pourquoi il agit comme ça. Et ils insistaient : « Non, c’est trop. Tu vas gâcher le film. » Alors je suis allé voir Ryan et je lui ai expliqué pourquoi c’était important. J’adorais l’idée de Bill Corso, notre maquilleur. Et Ryan était d’accord : « Je ne veux pas que les gens voient Ryan Reynolds. Je veux qu’ils voient le personnage. » Là-dessus, il m’a vraiment soutenu. Mais à d’autres moments, ça aurait pu basculer. On aurait pu finir avec une petite cicatrice à la Platoon… et ça aurait été une décision catastrophique. Et si je ne peux pas contrôler ce genre de choix, ça ne sert à rien, parce que ce n’est plus moi. J'allais dire que ce n'est pas plus film mais… ce n'est pas mon film.

C’est la deuxième fois que vous dites ça. Pourquoi ça ne serait pas votre film, si vous le réalisez ?
Parce que c’est aussi celui des autres. Sur un plateau, je veux que tout le monde contribue. Comme je sais que je n'ai pas toujours raison, je tiens à laisser un espace de discussion. Donc quand on me dit : « Ça ne fonctionne pas », je suis ravi d’échanger et d’essayer de comprendre le point de vue de l’autre. Mais au bout du compte, quelqu'un doit prendre une décision, parce qu’on ne peut pas passer l’éternité dans le flou. Et tout ce que je demande, c’est d’être cette personne.

Bien sûr, c'est le studio qui me paie et qui met l’argent pour fabriquer le film, et ça me va. Il faut respecter une hiérarchie mais j'aimerais être le deuxième dans cette chaîne hiérarchique. Donc sur Deadpool 2, je pense que j'ai fait le bon choix en partant. Même si j’ai probablement perdu 10 millions de dollars, je ne regrette toujours pas cette décision. Qui sait ce que l’avenir me réserve ? Je suis toujours le nerd le plus chanceux du monde. (Rires.)